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14 décembre 2009 1 14 /12 /décembre /2009 19:31

L'Angle Mort
de Charlotte Dawance
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17 novembre 2009 2 17 /11 /novembre /2009 09:40

Réponse à Jean Collet

Ma main tremble un peu à l’idée de répondre au savant qu’est Jean Collet. Qui a su me faire découvrir des chefs d'oeuvres à côté desquels je serais passé (Prova d'orchestra de Fellini) Avec qui je me suis réjoui d'un magnifique premier film  (Petits arrangements avec les morts de Pascale Ferran). Un maître en cinéma dont les critiques m’ont souvent éclairé. Mais là, non.

Il commet d’étonnantes erreurs d’observation. A-t-il vu le film en entier ?

Il invente lui-même les torts de celui qu’il veut éliminer.

 

La réalité du film.

Selon Jean Collet, Haneke « dénonce des êtres qu’on n’aurait pas la moindre envie de fréquenter à la sortie de la salle », son film pourrait s’intituler « tous pourris » ! Eh bien, moi, j’aimerais bien fréquenter l’instituteur pas très brillant mais attaché à un calme discernement qui lui permet de tenir tête aux donneurs de leçons ; ainsi qu’Eva, si rayonnante de sincérité. Ils constituent un couple porteur d’espérance, Et puis le père d’Eva qui pose une loi équilibrée et saine me parait très fréquentable. Il y a aussi plusieurs femmes qui, de manière moins emblématique, plus réaliste, assument leur rôle du mieux qu’elles peuvent dans la culture de leur époque : la baronne, Mme Wagner et même la femme du pasteur qui apporte discrètement un peu de douceur au rigorisme imposé par son mari. Quant aux deux petits derniers du médecin et du pasteur ils sont là pour rappeler justement la bonté spontanée des enfants. Une petite dizaine de personnages qu’on ne peut guère traiter de « pourris » !
Jean Collet dénonce la « prétention à tout expliquer » et « l’importance du message qu’il veut nous transmettre. » Or, l’expression la plus fréquemment entendu, celle-là même de la voix off qui ouvre le film est « je ne sais pas ». Ce film n’illustre pas de message et n’explique pas. Il ne manipule pas le spectateur. En revanche il nous implique. Ce que Jean Collet dénonce comme « l’effet » c’est la prise en compte de la réception dans l’œuvre comme en faisant partie. Haneke évite la séduction : absence de musique d’accompagnement et permanence de la voix off instaurent une distance où le spectateur peut exercer librement son jugement. Il refuse la fascination en occultant la pire violence.

Nos réceptions différentes montrent que s’il y avait « un message » (à la manière des tracts filmés de Michael Moore), il serait pour le moins peu clair.

« Tout est beau sur l’écran » écrit Jean Collet : ce serait un « moyen de faire passer ce message » ? Il faudrait donc ne pas regarder l’écran ?! Alors, comment y trouver du sens ?! La construction et la qualité plastique des images concourent ici à lisser les apparences, comme toute bonne esthétique bourgeoise, bien propre. Cette beauté froide contribue à mettre en place une esthétique paradoxale et riche : à la fois de distanciation et d’un charme discret.

Non, pas de fascination pour le mal dans ce film, seulement la quête un peu vaine de ce qu’on sait inexplicable : le mystère du mal ; et le désir de le vaincre, modestement, avec réflexion et amour comme l’indique le pivot du film qu’est l’instituteur.

Observer attentivement un film, avec un maximum d’objectivité, avant tout jugement critique, me parait la première règle d’une approche chrétienne respectueuse du 7ème art. Ce qui préserve des jugements d’autorité et permet d’éduquer le regard.

 

Cela dit, il n’est pas non plus question de crier au chef d’œuvre ! Il y a dans cette esthétique quelque chose d’appliqué, de trop « précautionneux » que quelques moments de grâce viennent souligner par contraste : la sortie en charrette et les timides gestes amoureux qu’échangent Eva et l’instituteur ; les ambiances de fête et les paysages ouverts sur le ciel. Mais l’ensemble manque de souffle ! Donc d’esprit.

 

Qui veut noyer son chien l’accuse de la rage,

Ce qui gêne, c’est que Jean Collet invente la thèse qu’il veut combattre à partir d’autres films que « Le ruban blanc ». Jean Collet veut voir « un plaidoyer contre le retour à un passé éducatif suranné » ce qui lui permet de fustiger le laxisme « post-soixante-huitard », la démission ou l’absence des parents, etc. A cet égard, Le Ruban blanc est un film anachronique » écrit-il. Que le film de Haneke souligne les dérives du rigorisme et du puritanisme protestants est indéniable. Mais ça ne me parait pas déplacé aujourd’hui. Nos Eglises peuvent encore céder aux charmes du confort doctrinal, des restaurations réactionnaires et des intégrismes moralisateurs.

 

La théorie des grands auteurs intouchables

Mais je voudrais élargir un instant ma réponse aux repères qui permettent à Jean Collet d’être aussi virulent. Sur quels indices appuie-t-il sa critique ? Sur sa culture, immense. Sur l’histoire du cinéma et un Panthéon de proclamés « grands maîtres ». Sa critique croule sous les références.

Certes, il faut aider les spectateurs à comprendre que le cinéma n’est pas né à Hollywood à la fin du siècle dernier. Mais la théorie des grands auteurs intouchables risque d’aveugler et de repousser un minimum d’exigences précises à l’égard des films récents. Si pour apprécier un film il faut vénérer tout Ford, tout Dreyer, tout Hitchcock et tout Bergman (en évitant le cinéma asiatique ?), je renonce. D’autant qu’aucun réalisateur ne crée que des chefs d’œuvre ; et que quelques merveilles viennent parfois éclairer de très moyennes filmographies. Du même auteur, j’avais détesté « La pianiste » mais j’apprécie « 71 fragments d’une chronologie du hasard » et « Caché ».

Pourquoi enfermer Haneke dans des références qui probablement ne sont pas les siennes ? Il a su éviter le piège de la citation. Après tout, qu’il évoque à quelques cinéphiles certaines ambiances d’un chef d’œuvre comme Ordet ne me déplait pas. Si elle l’enrichit, la référence n’est pas nécessaire à la réception du film.

La théorie des grands auteurs a eu un rôle important, tant en cinéma que dans les arts plastiques (Père Couturier). Il me semble qu’érigée en dogme, elle laisse désormais apparaître ses limites. Elle tend trop à valoriser de l’extérieur chaque production du « maître » et réserve la compréhension des films à une élite très cultivée, Surtout elle passe à côté d’un jeune cinéma d’Amérique latine et d’Asie, et de la recherche sur les images en mouvement (vidéo, cinéma expérimental, documentaire…) à la rencontre de l’art contemporain, en pleine effervescence.

 

Décidément il me plaît bien cet instituteur/narrateur du « Ruban blanc », qui prend le temps d’un véritable discernement à partir de ce qu’il voit, sans dogme, avec simplicité et un brin de naïveté. Avec la tendresse et l’humilité qui qualifient, selon Jean Collet, « la justesse du regard ». Et là, il a raison.

Michel Brière

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16 novembre 2009 1 16 /11 /novembre /2009 19:38
Le Service Chrétien du Cinéma, diffuse cette critique de Jean Collet

"Le Ruban blanc" : Ciné-Canada-Dry

Palme d’or à Cannes, critique enthousiaste et quasi unanime. Comment ne pas admirer le dernier film de Haneke ? Tout y est réuni pour constituer un chef d’œuvre : les images d’abord, le retour à la photo en noir et blanc qui rappelle aussitôt les grands films classiques, la douceur d’un album de famille, le passé transfiguré, sublimé. La mise en scène ensuite, ses longs plans fixes, parfaitement cadrés, mais aussi bien la caméra mobile dont on ne sent jamais la présence parce qu’elle est discrète et nécessaire. Elle est là pour faire voir, et non pour se faire remarquer… Présence impressionnante et majestueuse des acteurs, quel que soit leur âge. Comment ne pas penser à Dreyer, à la peinture flamande ?

Et puis enfin un grand sujet : la violence. On sait que Haneke lui a consacré jusqu’ici toute son œuvre, on se souvient de Funny Game, La Pianiste, Caché … Mais – ô surprise – avec ce Ruban blanc, et à l’image de son titre, Haneke renonce à la violence visible. C’est même l’introuvable violence qui motive le suspense de son film. Violence sournoise que le spectateur attend, recherche parce qu’il n’en voit que les effets (on pense à Bresson). Comment ne pas admirer l’habileté d’un tel parti-pris, comment ne pas reconnaitre une stupéfiante conversion dans la carrière du cinéaste ?

Et pourtant je n’arrive pas à entrer dans ce film, même si le malaise qu’il procure n’a rien de commun avec l’horreur insoutenable que Funny Game nous forçait à éprouver, à moins de quitter la salle (ce que je n’avais pas pu m’empêcher de faire dix minutes avant la fin du film). « Habileté », j’ai dit ce mot tout à l’heure et je n’en trouve pas d’autre pour expliquer ce que je ressens. Mais pourquoi cette impression, d’où vient elle ? Bien sûr, tout est beau sur l’écran, bien sûr Haneke traite un grand sujet et je ne doute pas de sa sincérité, il est surement convaincu de l’importance du message qu’il veut nous transmettre. Convaincu aussi d’avoir trouvé les meilleurs moyens de faire passer ce message, il a voulu construire un film efficace, et il a sûrement réussi. Au moins jusqu’ici auprès du jury de Cannes et de la critique.
Quel est donc ce message qui fait l’unanimité ? Le Ruban blanc, en effet, ne dérangera personne, et cela même devrait jeter quelque trouble, paraître un peu suspect. Quelle est donc cette origine du Mal que Haneke aurait le mérite d’avoir découverte, et le courage ( ?) de dénoncer. Si j’ai bien compris, Le Ruban blanc – image de l’innocence, de la pureté des enfants – ce n’est pas tout à fait l’enfance que l’Evangile nous invite à retrouver ; bien au contraire, c’est l’enfance pervertie par la violence des contraintes, des sévices que la rigueur et l’hypocrisie des adultes lui fait subir. C’est le puritanisme d’une « éducation » qui a certainement existé il y a cent ans ; et en particulier sans doute dans ces villages fermés où des hobereaux privilégiés et arrogants semblaient ignorer l’existence de la démocratie. Comme d’ailleurs ils feignaient de n’avoir jamais entendu la voix d’un certain Jésus de Nazareth – et la colère de Jésus – quand il s’adressait aux pharisiens. A ceux précisément qui méritent de se voir « engloutis en pleine mer avec une meule autour du cou » pour avoir scandalisé un enfant. (Matthieu , 18, 5-12). Haneke se prendrait-il pour un nouveau Bernanos en cherchant du côté des « enfants humiliés » d’hier, l’explication des violences d’aujourd’hui ?

Rien de commun pourtant, entre l’auteur du Journal d’un curé de campagne et celui de Funny Games ! … Tout les sépare ; ne serait-ce que l’humilité de Bernanos à travers son œuvre, et la prétention permanente de Haneke. Prétention à tout expliquer (ce qui n’a jamais été un trait des grands artistes), mais surtout prétention à dominer, à violenter, à maîtriser – au pire sens du terme – le spectateur. Car il y a une constante dans le cinéma de Haneke, malgré ce qui sépare son dernier film des précédents – et quoiqu’il s’en défende – c’est la fascination du mal que ce cinéaste tient absolument à nous faire partager. Soi-disant pour notre bien. Mais, que le remède soit d’un goût à vomir (Funny Games, La Pianiste), ou excessivement raffiné (Le Ruban blanc), le cinéaste se veut guérisseur à tout prix ; et je me méfie des bonnes intentions dont l’enfer est pavé.
A la réflexion, j’ai bien du mal à prendre au sérieux la pharmacopée de ce clown, trop blanc et si ténébreux, qui éprouve le besoin régulier de se déguiser en docteur Freud. Si la thèse – tellement simplette – du Ruban blanc peut à la rigueur coller plus ou moins bien avec la montée du nazisme, elle n’a aucun intérêt pour nous aujourd’hui. D’abord parce que Fritz Lang a fait la lumière là-dessus – et quelle lumière et quel esprit – quand il fallait le faire, et quand il fallait du courage pour le faire. Et puis, Lang ne s’est jamais pris pour un prophète, tout simplement parce qu’il l’était.
Ensuite, parce que la violence présente, omniprésente désormais dans le monde ne saurait s’expliquer par les méfaits d’une éducation trop rigoriste sur les générations montantes (c’est plutôt le contraire qui saute aux yeux : le laxisme « post-soixante-huitard », la démission ou l’absence des parents, etc …). A cet égard, Le Ruban blanc est un film anachronique ; c’est sans doute ce qui fait son charme et justifie son succès.
Oublions donc la thèse et le donneur de leçons. Reste la beauté du film, n’est ce pas ? Oui, mais quelle beauté ? Peut-on féliciter Haneke de l’application laborieuse avec laquelle il fait du sous-Bergman, du sous-Dreyer ? Car il ne s’agit pas de créer en copiant, il copie pour avoir l’air de créer. Cela s’appelle l’académisme, cet ersatz de l’art, ce Canada-Dry du cinéma, ce piège tendu au critique, au spectateur … et aux jurés des festivals (qui s’en tirent parfois comme cette année en couronnant en même temps le film le plus académique, celui de Haneke, et le plus « contemporain », celui de Audiard (Un prophète), dont on peut parier sans risque : ils vieilliront aussi mal l’un que l’autre. Et pour les mêmes raisons. Car Audiard comme Haneke ne regardent pas vraiment leurs personnages, ils regardent l’effet que leurs images vont produire sur le spectateur. La voila l’habileté, qu’on ne peut pas confondre avec la justesse du regard. Celle-ci ne va jamais sans la tendresse et l’humilité.
A ce propos, un dernier point rapproche encore ces deux films : le mépris (des personnages évidemment). Chacun dans son genre se complait à « dénoncer » des êtres qu’on n’aurait pas la moindre envie de fréquenter à la sortie de la salle. L’un et l’autre pourraient s’intituler : « tous pourris » ! On sait bien en entendant ces deux mots : la seule vérité qu’ils révèlent, c’est le mépris qu’on éprouve envers soi-même. Ni la barbarie d’Un prophète, ni l’esthétisme du Ruban blanc ne pourront dissimuler longtemps cette sombre évidence. Dieu nous garde des faux prophètes !

Jean Collet, novembre 2009
 Jean Collet, né en 1932, professeur honoraire des Universités, journaliste à Télérama (1959-1971) et aux Cahiers du Cinéma (1961-1968), a enseigné le cinéma et la communication. En 1963, on lui doit le premier livre sur Jean-Luc Godard, plusieurs fois réédité et traduit en de nombreuses langues. Critique de films à la revue Études depuis 1965, il collabore au département "Fictions" de Arte, et poursuit son enseignement du cinéma au Centre Sèvres (Université des Jésuites à Paris). Il a aussi écrit sur François Truffaut, Federico Fellini, et une quinzaine d'articles dans l'Encyclopaedia Universalis (Hitchcock, Lubitsch, Bergman, Bresson, Bunuel, etc.)

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13 novembre 2009 5 13 /11 /novembre /2009 09:16

Voilà. Chacun de son côté, nous avons vu Le ruban blanc dans la perspective d’en parler ensemble, d’enrichir notre réception du film et de porter un regard éclairé par la parole de Dieu et la foi.

 

1) Ensemble, dans un premier temps nous avons écouté ce que chacun avait remarqué et retenu :

- L’usage du noir et blanc, avec des ambiances nocturnes, des intérieurs très noirs et très contrastés : pièce lumineuse aperçue d’une autre dans le noir, flammes dans la nuit… Les extérieurs paraissent en revanche très lumineux, probablement surexposés : blondeur des blés, blancheur de la neige, vastes ciels...

- Pas de musique ajoutée à celle dont l’origine est visible : piano, harmonium, chant choral...

- Tout le film est accompagné d’une voix off ; c'est un récit de l'instituteur âgé, ce qui en fait le personnage principal. On peut supposer qu’il représente l’auteur.

- Répétition fréquente et peut-être premiers mots du film : "je ne sais pas." Nombreux dialogues bloqués.

- A part l’ellipse finale, une année passe, de juillet à juillet, scandée par les fêtes des moissons, de Noël; du nouvel an, de Pâques et de Pentecôte avec la Confirmation.

- Les paysages contribuent à la perception des saisons et accentuent, par contraste, la clôture du village.

- Ce village nommé Eichwald, parait quasiment féodal, avec ses notables : baron, pasteur, instituteur, et médecin. L’autre lieu nommé c’est Sarajevo. Le village se trouve confronté au monde d’un coup par l’assassinat de l'Archiduc François-Ferdinand à Sarajevo, le 28 juin 1914.

- Cadrages rigoureux, parfois centrés, stables. Nombreux plans fixes. Quelques panoramiques aller retour.

- Horizontalité ; très peu de plongées ou contre plongées, quelques rares travelings.

- Quantité d'enfants identifiés : Sigi fils du baron, Karli l’enfant trisomique, fils de Mme Wagner, Klara et Martin, leurs deux frères et deux sœurs, enfants du pasteur, Erna et Rudi, enfants du médecin, ceux du régisseur et ceux du fermier, le reste de la chorale...

- Les sentiments exprimés par l'instituteur et Eva - Principaux personnages positifs ; ils ne sont pas du village - leur pudeur confiante, leurs gestes tendres, leur naïveté, contrastent avec la froideur et la négation des sentiments dans les familles du village.

- Un instant d’émotion du pasteur quand son petit dernier lui donne son oiseau "pour remplacer Pipsi". Avec Rudi, le petit dernier du médecin, il sont deux autres personnages positifs.

- Plusieurs fois des portes jouent leur rôle paradoxal : elles cachent mais le son et/ou l’image suivante suggèrent violence, inceste, torture ce qui sollicite notre désir de voir, et notre imaginaire.

- En revanche la violence, la cruauté des propos du médecin à la sage-femme et du pasteur à sa fille sont sans retenue.

- Un indice clair de la tacite omerta familiale : le pasteur voit l'oiseau « crucifié » par Klara, sa fille. Il sait donc que le mal frappe à l'intérieur même de sa maison et nous savons, dès lors, qu’il le cache.

 

2) Ces remarques débouchent sur un débat :

- Le but d'un film c'est de prendre du plaisir, là, c’est trop hermétique, rien n’est expliqué. Un peu trop compliqué. Mais n’y a-t-il pas du plaisir à chercher, à participer au sens d’une œuvre, à ne pas se faire matraquer par un message ? Même un dessin animé comme Fantasia de Walt Disney n'est pas simple. Et, là, ça invite à une réflexion. Ce que désignent nos trois premières remarques (noir et blanc, pas de musique, voix off) ainsi que la fin ouverte tendent à distancier l’illusion et à maintenir le spectateur hors fascination.

- Il y a des moments, on est touchés, mais globalement, où veut-il en venir ? A l’origine et à la transmission de la violence et du mal.

- Le mal est efficace, diabolique, parce qu’il s’insinue. Comme pour la chute du médecin à cheval, sa cause, le câble tendu, demeure invisible. On n’en aperçoit seulement la trace.

- Ce village, il ressemble encore aux villages d’aujourd’hui. Tout est caché, il y a des lois terribles. Oui, faut pas croire, dans les villages c'est comme ça. C’est un village emblématique.

- C’est aussi le film qui est très maîtrisé. Trop maîtrisé. C’est peut-être nécessaire au sujet, cloisonnement enfermement, mais du coup ça manque de grâce et de souffle.

- Mais l’instituteur, personnage réfléchi et tendre, libre et respectueux, ose tenir tête et affronter. En s’identifiant à cet honnête homme, humaniste, on est invité à ne pas renoncer à enquêter devant les énigmes. Figure d’une possible quête devant le Mystère inaccessible.

- Beauté des images, à la fois austères, structurées et nuancées, parfois somptueuses (les fêtes). Elles manifestent et transmettent bien plus que les paroles.

 

3) Qu’est-ce que la Bible peut éclairer de ce film ?

Le mal ne s'explique pas, il survient. En Gn.3 apparaît une anomalie : un serpent, le plus rusé des animaux. Il parle, alors que seuls Dieu, l’homme et la femme parlent. Et il ment.

La tentation passe principalement par le regard, la vision : la femme vit que l'arbre était bon à manger et séduisant à voir, et désirable pour acquérir le discernement.

L’interdit posé par Dieu ne concerne que les fruits d’un seul arbre alors que le serpent veut faire croire qu’il porte sur tous les arbres. On pense, dans le film, à la multiplication des interdits chez le pasteur comparée à l’interdit raisonnable et structurant posé par le père d’Eva : attendre une année avant le mariage.. Peut-être n’est-ce pas un hasard si sa fille, jeune et rayonnante, s’appelle Eve ?

Dans les évangiles Jésus dénonce une loi pesante qui ne serait pas au service de l’homme  «Le sabbat a été fait pour l'homme, et non l'homme pour le sabbat. » Mc.2,27.

Inlassablement, Jésus reprend les pharisiens qui accablent ceux qu’ils veulent guider : «  Ils lient de pesants fardeaux et les imposent aux épaules des gens, mais eux-mêmes se refusent à les remuer du doigt. » Mt.23,4

Jésus dénonce l’attachement à une pureté toute extérieure : « Pharisien aveugle! Purifie d'abord l'intérieur de la coupe et de l'écuelle, afin que l'extérieur aussi devienne pur. Malheur à vous, scribes et Pharisiens hypocrites, qui ressemblez à des sépulcres blanchis : au-dehors ils ont belle apparence, mais au-dedans ils sont pleins d'ossements de morts et de toute pourriture; vous de même, au-dehors vous offrez aux yeux des hommes l'apparence de justes, mais au-dedans vous êtes pleins d'hypocrisie et d'iniquité. » (Mt.23,26-28) Or, c’est cette apparence que le pasteur veut préserver jusqu’au bout.

 

Avis partagés. Malgré nos réticences devant l’austérité du film, sa construction trop maîtrisée voire étouffante, ses qualités proprement cinématographiques (scénario, récit, lumières, construction, direction d’acteurs…) le recommandent. Guidés par l’instituteur, comme par la forme ouverte du film, on se sent invités à reprendre inlassablement une réflexion active sur le mal, éclairée par le respect et l’amour.

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30 septembre 2008 2 30 /09 /septembre /2008 08:20

Paul Newman est indéniablement une de ces légendes vivantes dont on n'imagine pas un jour qu'elles peuvent mourir. Avec lui, trois générations ont grandi et vieilli, lui est resté aussi beau à 83 ans qu'à 35. 
Cet homme discret fait partie du panthéon des stars du cinéma au sens qu'avait ce mot dans les années de l'âge d'or hollywoodien. Souvent comparé à son ami et partenaire de cinéma Robert Redford, Paul Newman avait quelque chose de plus solide, une énergie dans le jeu, une classe qui le rendait intimidant. Dans la vie, c'était un homme engagé qui agissait pour ses convictions aux côtés de sa femme depuis 50 ans, Joanne Woodward.
Il était aussi un des élèves fameux de l'Actors Studio, formé par la méthode Stanislavski-Strasberg, tout comme Marlon Brando, Al Pacino, Robert de Niro et beaucoup d'autres géants du grand écran. Comme les grands, Newman brillait même dans les films moyens, et il a eu l'élégance de se retirer quand il estimait ne plus être à la hauteur de ce qu'exigeait le cinéma.
Sa carrière et sa vie peuvent se résumer par le titre de ce film tourné avec Robert Wise :
 "Somebody up there likes me" (1) et il est parti Le rejoindre.

(1) Textuellement : "Quelqu'un là-haut doit m'aimer", en France le titre a été traduit par "Marqué par la haine".
 
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16 juin 2008 1 16 /06 /juin /2008 09:20
« You say you want a revolution… » Quelle est ma place dans l'Histoire ? Qu'est-ce qui me permet de changer et qu'est-ce qui m'en empêche ? De quel côté est-ce que je me situe : du côté de ceux qui changent les choses ou de celui de ceux qui empêchent le changement ? Ce sont ces questions qui agitent le petit film "Half Nelson", terme de lutte qui désigne une prise qui immobilise tout à fait l'adversaire en l'écrasant. Dunne est un jeune prof de Brooklyn qui enseigne l'histoire à une classe de 4°. Quand il n'est pas à l'école, il fume du crack, couche avec tout ce qui bouge et vit dans un taudis. Disciple de la philosophie de l'Histoire de Hegel selon laquelle les événements se répètent tout en évoluant chaque fois, Dunne pose pourtant la question à l'une de ses conquêtes : "Je ne suis qu'un homme, qu'est-ce que je peux faire ?" Tout le film est pris depuis le point de vue de Dunne, c'est-à-dire à travers des images floues et instables, jamais posées, toujours mouvantes, comme l'eau d'Héraclite dans laquelle on ne se baigne jamais deux fois. Ainsi, on revient toujours plusieurs fois sur les lieux du film. La première scène nous fait entrer dans l'appartement dévasté et sale de ce professeur solitaire, écroulé sur son canapé. Et la dernière scène nous ramène dans cet appartement, rangé cette fois, et sur le canapé sont maintenant assises deux personnes. Pour une fois, ce n'est pas l'histoire d'un prof qui sauve des élèves en difficulté et a priori condamnés à une vie hors-la-loi, ni un réquisitoire contre la drogue. C'est un film assez modeste pour ne montrer que les choses telles qu'elles sont. Pas de résolution à la fin, impossible de dire si c'est une fin positive ou non, simplement, c'est un film qui nous laisse le choix. Les questions nous sont posées directement, nous aussi devenons les élèves de ce professeur qui en fait se pose les questions à lui-même en même temps qu'il enseigne à ses élèves. A noter, l'interprétation des deux rôles principaux, Ryan Gosling, un des acteurs les plus intéressants de la jeune génération américaine, et Shareeka Epps, actrice non professionnelle. Egalement remarquable, la finesse avec laquelle est traité le sujet de l'amitié entre un adulte et un enfant, qui plus est élève et professeur, question si délicate aux Etats-Unis. Voilà un petit film attachant parce que réalisé avec humilité et intelligence, loin du snobisme qu'on peut trouver dans la façon de filmer des productions indépendantes. 

Charlotte

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7 avril 2008 1 07 /04 /avril /2008 19:31
LA RONDE DE NUIT Peter Greenaway

Difficile de faire la critique d'un tel film. Très maîtrisé, volontairement expérimental (rien qu'à la façon artificielle dont jouent les acteurs, on reste un peu interloqué pendant les premières minutes), appuyant sur la beauté des images vraiment magnifiques, ce film peut agacer par sa recherche si évidente de perfection. Pourtant, il y a plus que la recherche d'une composition de plans sans défauts. 

Il y a dans La Ronde de Nuit une réflexion sur la mise en scène.La première scène par exemple trompe le spectateur qui pendant quelques minutes se demande s'il est en train de regarder du théâtre filmé.  Les personnages s'adressent directement à la caméra, on reste parfois surpris du registre utilisé pour interpréter certains sentiments. On est souvent en plan d'ensemble ou large comme assis devant la scène de théâtre.
"All the world's a stage", dit justement un personnage de comédien. Rembrandt se bat contre la comédie et le mensonge des bourgmestres qu'il peint. Pour lui tout est spectacle, prétexte à la peinture. C'est le spectacle que le peintre accuse et c'est le spectacle qui lui fournit son travail. Alors que Rembrandt fige les visages des grands de Hollande, Peter Greenaway redonne vie aux tableaux. Je ne m'étendrai pas sur la métaphore rebattue de la toile du tableau et de l'écran de cinéma.

Rembrandt compose ses tableaux de manière à parler à celui qui le regardera, on le voit choisir les couleurs, les vêtements, les places de ses modèles. La lumière découvre peu à peu une scène, transforme l'espace, modèle une atmosphère. Si on observe bien, on peut remarquer que plusieurs lieux du film sont situés dans le même décor, seulement, il est éclairé différemment, il est utilisé plus ou moins largement.

Ce que cherche Rembrandt, qui craint plus que tout de devenir aveugle, c'est la lumière. Qui éclaire-ton? Comment éclaire-t-on un tableau? Où place-t-on la couleur? Il faut voir cette scène onirique d'ouverture où Rembrandt demande à sa servante de décrire les couleurs à un aveugle pendant qu'elle ouvre les volets de sa chambre. La question est posée : comment ouvre-t-on l'esprit des spectateurs? Comment fait-on naître les émotions par l'image?
Selon l'emplacement et l'utilisation de la lumière, notre perception est différente. Greenaway a bien choisi de traiter un tableau dont le titre contient le mot "nuit". C'est la maîtrise de la lumière qui fait du peintre, du cinéaste, un grand artiste, parce que c'est cette lumière qui montre ce que nous n'avions pas vu, qui invente des mondes et recompose des univers, qui éclaire un personnage sous un angle imperceptible auparavant.
Enfin, c'est cette lumière qui nous montre la vérité (une enquête criminelle est prétexte au film).
Cela vous rappelle-t-il quelque chose?

Charlotte
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13 mars 2008 4 13 /03 /mars /2008 08:03
daniel-day-lewis_427x321.jpgLE BRUIT ET LA FUREUR
 
Pour Daniel Plainview et Eli Sunday, il faut savoir acheter les esprits afin de pouvoir ensuite réclamer les biens. Le premier est prospecteur de pétrole, le second est un jeune prédicateur de l'Eglise de la Troisième Révélation. Nous sommes dans le sud-ouest américain et l'histoire se déroule en quatre périodes, de 1898 à 1929.
 
Les deux premières périodes durent environ 1/4 d'heure et couvrent la découverte des premiers gisements de pétrole par Daniel Plainview. Pendant ces 15 minutes, pas un mot n'est prononcé, seuls une musique stridente et les bruits des machines se font entendre. Car le film décrit un processus mécanique: je veux, je convaincs, j'achète, je tue, je mens, je gagne. Daniel Plainview est une machine, comme nous le fait comprendre la musique qui reprend le rythme du train ou des foreuses. Une machine que rien n'arrête, que le scrupule ou le remords ne saisit pas, froid, sans famille, sans amitié, sans amour, sans religion. 
 
Comme les grands héros des tragédies grecques, c'est la démesure qui caractérise cet homme et qui l'entraîne à la perte de son humanité. Tout est démesuré autour de lui - mais n'est-ce pas un des attributs des Etats-Unis? -,  à l'image de la plaine désertique dans laquelle il a installé ses puits de pétrole. C'est en son coeur que se déroule le film. On dirait qu'il n'y a rien d'autre au monde que cette plaine sauvage, ces hommes qui creusent et ces puits. Au point que la 4è époque du film qui se déroule dans une maison majestueuse paraît anachronique, déplacée. Tout à coup, le film qui était noir et jaune devient bleuté et froid. Mais comme Daniel Plainview ne sortait pas des terres conquises ou à conquérir, car c'est de cette manière qu'il aborde le monde extérieur, il ne sort pas non plus de sa demeure. Et comme il aimait être sous le sol dans ses puits, on le laisse en sous-sol dans sa salle de bowling.
 
Face à lui, il y a Eli Sunday le religieux qui a trouvé en Plainview une source possible d'argent et un adversaire à détruire avant qu'il n'influence les fidèles de son église. Le film est une critique claire de l'Amérique, enfermée sur elle-même et isolée, qui entre en conquérante sur les terres des autres,  Daniel Plainview et Eli Sunday sont respectivement des images de la politique économique agressive américaine et de la relation ambiguë entre la religion et le pouvoir aux Etats-Unis. 
 
C'est aussi un film sur notre bruit, la musique est souvent difficile à supporter. La victime de ce vacarme, c'est le fils de Plainview qui devient sourd après une explosion de gaz et que son père rejette ensuite. Paradoxalement, c'est aussi ce qui sauve l'enfant, comme s'il fallait s'isoler du bruit du monde pour survivre.
 
Le titre - "Il y aura du sang" - n'est pas la première citation de l'Ancien Testament que fait le cinéaste Paul Thomas Anderson*. Dans l'un de ses précédents films, Magnolia", il avait mis en scène une pluie surréaliste de grenouilles sur Los Angeles. On l'attend ce sang qui est présent la plupart du temps sans être visible tout au long du film : le pétrole, la seule chose qui fait vivre cette terre sèche du Texas; le sang du Christ qui est évoqué à tout bout de champ par le religieux Eli Sunday et que refuse Daniel Plainview; le sang des ouvriers qui meurent pendant le travail; le sang des victimes de Daniel Plainview. Ce sang-là ne devient concret qu'à la toute dernière scène du film et c'est une fin inévitable, car le film se construit en tragédie. Plainview amasse, accumule et dévore tout (l'un des films de référence pour la préparation de l'acteur a été Nosferatu) et le prédicateur Eli Sunday ressemble tellement au prospecteur Daniel Plainview que There Will be Blood peut être vu comme l'histoire de Caïn et Abel où Abel serait aussi mauvais que Caïn et où Dieu serait un intermédiaire utile pour étendre l'influence des deux adversaires sur leurs "fidèles".
 
There Will be Blood est un film sur un homme trop envahissant pour les autres, tellement imposant que rien ne peut le détruire sauf lui-même. "(...) on ne peut pas être tranquillement ce qu'on est sans torturer quelqu'un" écrivait Simone de Beauvoir dans Le Sang des Autres; Daniel Plainview demeure tellement fidèle à lui-même qu'il écrase ceux qui l'entourent. Sur l'égoïsme universel, il nous dit que celui qui veut être lui-même ou plus que lui-même ne peut faire autrement que de sacrifier les autres. Sur notre condition humaine et sur nos rapports aux autres, il nous dit qu'être c'est déjà trop.

Charlotte
_________________________________________________________________________________________________________
 
* Exode 7,19 : "Et l'Éternel dit à Moïse : Dis à Aaron : Prends ton bâton et étends la main sur l'eau de l'Egypte, sur ses fleuves, sur ses canaux, sur ses étangs et sur tous ses réservoirs, et elle sera du sang, et il y aura du sang dans tout le pays d'Egypte jusque dans les vases de bois et de pierre."
 
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4 février 2008 1 04 /02 /février /2008 11:41

Une nouvelle page Cep 7ème ART
à consulter en bas à droite de l'écran 

REPRISE de Hervé Le Roux

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3 août 2007 5 03 /08 /août /2007 13:14

Quel plaisir de réunir les noms de Michel Serrault, Ingmar Bergman et Michelangelo Antonioni ! Quelle tristesse que la cause en soit leur mort !

 Une génération. Des grands. Que de moments intenses ils ont donné !

 J’ai plongé dans le 7ème art avec « Le 7ème sceau » Je veux dire que c’est « Le 7éme sceau » qui a éveillé ma reconnaissance du cinéma comme un art. Dès lors, Ingmar Bergman m’accompagne, pas à pas, film à film.. Lassé, un temps, par ses plongées au plus obscur de la psyché, son terrible « Œuf du serpent » en 77 m’a empêché de goûter ses dernières œuvres jusqu’à ce 30 Juillet 2007 et sa mort à Faro, son île. Le collège des Bernardins lui consacrera l’un de ses Samedis Cinéma en février 2008.

 Michel Serrault fait partie de la famille. Dès cinq ans,  j’accompagnai mes parents dans leurs sorties dominicales, assez souvent dans les cinémas du quartier pour voir : « Assassins et voleurs, Messieurs les ronds de cuir, La belle américaine, Bébert et l’omnibus, Des pissenlits par la racine »… autant de films qu’un cinéphile classe dans les séries B. Peu à peu on retenait son nom et puis il y a eu « Le viager » et « La cage aux folles » que je regarde encore avec émotion ; si, si : vous souvenez-vous du « Tu me trouves comique..? » murmuré à travers la porte à peine ouverte au début du second volet ? Un instant Molinaro, les éclairages, le maquillage et d’abord, le jeu de Serrault atteignent la puissane d’une photo de Nan Golding.

Michelangelo Antonioni m’a ennuyé plus d’une fois… sauf quand « Blow up », à sa sortie en 67 annonce une nouvelle pratique de l’image inculturée dans le Londres des Beatles. Paradoxalement, il aura fallu « Par delà les nuages » tourné par Wim Wenders pour me donner le goût de replonger dans son œuvre et de découvrir ses Ecrits (coll. Inventeurs de formes, Images modernes, 2003)

 Merci messieurs ! Que le cinéma du 21ème siècle fasse fructifier ce que vous lui laissez en héritage.

Michel Brière

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