Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
17 novembre 2009 2 17 /11 /novembre /2009 09:40

Réponse à Jean Collet

Ma main tremble un peu à l’idée de répondre au savant qu’est Jean Collet. Qui a su me faire découvrir des chefs d'oeuvres à côté desquels je serais passé (Prova d'orchestra de Fellini) Avec qui je me suis réjoui d'un magnifique premier film  (Petits arrangements avec les morts de Pascale Ferran). Un maître en cinéma dont les critiques m’ont souvent éclairé. Mais là, non.

Il commet d’étonnantes erreurs d’observation. A-t-il vu le film en entier ?

Il invente lui-même les torts de celui qu’il veut éliminer.

 

La réalité du film.

Selon Jean Collet, Haneke « dénonce des êtres qu’on n’aurait pas la moindre envie de fréquenter à la sortie de la salle », son film pourrait s’intituler « tous pourris » ! Eh bien, moi, j’aimerais bien fréquenter l’instituteur pas très brillant mais attaché à un calme discernement qui lui permet de tenir tête aux donneurs de leçons ; ainsi qu’Eva, si rayonnante de sincérité. Ils constituent un couple porteur d’espérance, Et puis le père d’Eva qui pose une loi équilibrée et saine me parait très fréquentable. Il y a aussi plusieurs femmes qui, de manière moins emblématique, plus réaliste, assument leur rôle du mieux qu’elles peuvent dans la culture de leur époque : la baronne, Mme Wagner et même la femme du pasteur qui apporte discrètement un peu de douceur au rigorisme imposé par son mari. Quant aux deux petits derniers du médecin et du pasteur ils sont là pour rappeler justement la bonté spontanée des enfants. Une petite dizaine de personnages qu’on ne peut guère traiter de « pourris » !
Jean Collet dénonce la « prétention à tout expliquer » et « l’importance du message qu’il veut nous transmettre. » Or, l’expression la plus fréquemment entendu, celle-là même de la voix off qui ouvre le film est « je ne sais pas ». Ce film n’illustre pas de message et n’explique pas. Il ne manipule pas le spectateur. En revanche il nous implique. Ce que Jean Collet dénonce comme « l’effet » c’est la prise en compte de la réception dans l’œuvre comme en faisant partie. Haneke évite la séduction : absence de musique d’accompagnement et permanence de la voix off instaurent une distance où le spectateur peut exercer librement son jugement. Il refuse la fascination en occultant la pire violence.

Nos réceptions différentes montrent que s’il y avait « un message » (à la manière des tracts filmés de Michael Moore), il serait pour le moins peu clair.

« Tout est beau sur l’écran » écrit Jean Collet : ce serait un « moyen de faire passer ce message » ? Il faudrait donc ne pas regarder l’écran ?! Alors, comment y trouver du sens ?! La construction et la qualité plastique des images concourent ici à lisser les apparences, comme toute bonne esthétique bourgeoise, bien propre. Cette beauté froide contribue à mettre en place une esthétique paradoxale et riche : à la fois de distanciation et d’un charme discret.

Non, pas de fascination pour le mal dans ce film, seulement la quête un peu vaine de ce qu’on sait inexplicable : le mystère du mal ; et le désir de le vaincre, modestement, avec réflexion et amour comme l’indique le pivot du film qu’est l’instituteur.

Observer attentivement un film, avec un maximum d’objectivité, avant tout jugement critique, me parait la première règle d’une approche chrétienne respectueuse du 7ème art. Ce qui préserve des jugements d’autorité et permet d’éduquer le regard.

 

Cela dit, il n’est pas non plus question de crier au chef d’œuvre ! Il y a dans cette esthétique quelque chose d’appliqué, de trop « précautionneux » que quelques moments de grâce viennent souligner par contraste : la sortie en charrette et les timides gestes amoureux qu’échangent Eva et l’instituteur ; les ambiances de fête et les paysages ouverts sur le ciel. Mais l’ensemble manque de souffle ! Donc d’esprit.

 

Qui veut noyer son chien l’accuse de la rage,

Ce qui gêne, c’est que Jean Collet invente la thèse qu’il veut combattre à partir d’autres films que « Le ruban blanc ». Jean Collet veut voir « un plaidoyer contre le retour à un passé éducatif suranné » ce qui lui permet de fustiger le laxisme « post-soixante-huitard », la démission ou l’absence des parents, etc. A cet égard, Le Ruban blanc est un film anachronique » écrit-il. Que le film de Haneke souligne les dérives du rigorisme et du puritanisme protestants est indéniable. Mais ça ne me parait pas déplacé aujourd’hui. Nos Eglises peuvent encore céder aux charmes du confort doctrinal, des restaurations réactionnaires et des intégrismes moralisateurs.

 

La théorie des grands auteurs intouchables

Mais je voudrais élargir un instant ma réponse aux repères qui permettent à Jean Collet d’être aussi virulent. Sur quels indices appuie-t-il sa critique ? Sur sa culture, immense. Sur l’histoire du cinéma et un Panthéon de proclamés « grands maîtres ». Sa critique croule sous les références.

Certes, il faut aider les spectateurs à comprendre que le cinéma n’est pas né à Hollywood à la fin du siècle dernier. Mais la théorie des grands auteurs intouchables risque d’aveugler et de repousser un minimum d’exigences précises à l’égard des films récents. Si pour apprécier un film il faut vénérer tout Ford, tout Dreyer, tout Hitchcock et tout Bergman (en évitant le cinéma asiatique ?), je renonce. D’autant qu’aucun réalisateur ne crée que des chefs d’œuvre ; et que quelques merveilles viennent parfois éclairer de très moyennes filmographies. Du même auteur, j’avais détesté « La pianiste » mais j’apprécie « 71 fragments d’une chronologie du hasard » et « Caché ».

Pourquoi enfermer Haneke dans des références qui probablement ne sont pas les siennes ? Il a su éviter le piège de la citation. Après tout, qu’il évoque à quelques cinéphiles certaines ambiances d’un chef d’œuvre comme Ordet ne me déplait pas. Si elle l’enrichit, la référence n’est pas nécessaire à la réception du film.

La théorie des grands auteurs a eu un rôle important, tant en cinéma que dans les arts plastiques (Père Couturier). Il me semble qu’érigée en dogme, elle laisse désormais apparaître ses limites. Elle tend trop à valoriser de l’extérieur chaque production du « maître » et réserve la compréhension des films à une élite très cultivée, Surtout elle passe à côté d’un jeune cinéma d’Amérique latine et d’Asie, et de la recherche sur les images en mouvement (vidéo, cinéma expérimental, documentaire…) à la rencontre de l’art contemporain, en pleine effervescence.

 

Décidément il me plaît bien cet instituteur/narrateur du « Ruban blanc », qui prend le temps d’un véritable discernement à partir de ce qu’il voit, sans dogme, avec simplicité et un brin de naïveté. Avec la tendresse et l’humilité qui qualifient, selon Jean Collet, « la justesse du regard ». Et là, il a raison.

Michel Brière

Partager cet article
Repost0

commentaires

S
<br /> Très bien dit, je vous approuve, et vous soutient!<br /> <br /> <br />
Répondre