Duane Hanson, à la Villette, pavillon Delouvrier : "Le rêve américain..."
Entrée libre. Jusqu'au 15 août.
Des statues sans socle, sans protection ni barrière (sauf Lunch Break : trois ouvriers qui cassent la croûte sur leur chantier). Il s’agit de moulages en résine avec des vrais cheveux, de vrais vêtements dans des positions très communes… On dirait tellement des mannequins qu’on en arriverait à se demander si c’est de l’art..?
Vous êtes déjà allés au musée Grévin ? Ce musée est célèbre pour ses reproductions en cire de personnalités historiques et actuelles. La réalisation de ces personnages est fondée sur la sculpture. Les visages sont modelés dans la terre glaise au cours de séances de pose avec la personnalité. Pour les personnalités actuelles, ce sont souvent leurs couturiers attitrés qui les habillent où elles-mêmes offrent à Grévin une de leurs tenues. De même pour les accessoires.
Eh bien tout ce travail constitue une attraction mais ne prétend pas relever de l’art. En revanche le travail de Duane Hanson qui élimine le modelage puisque les visages de ses œuvres sont moulés, lui est exposé dans les musées et les galeries comme œuvre d’art.
« Le musée Grévin ne s’intéresse qu’aux célébrités » me direz-vous. Oui, sauf que, mêlés au public, il y a quelques anonymes, un faux pompier de service, le gros monsieur assis sur un banc, dans le but humoristique de surprendre les visiteurs.
Qu’est-ce qui fait l’art des empreintes de Duane Hanson et non des statues de cire du musée Grévin. L’intention ? Duane Hanson cherche à émouvoir la pensée. L’attitude des personnages, leur regard semblent exprimer quelque chose de subtile entre l’attente, l’ennui, la frustration, le vide… Le plus caractéristique : L’homme au walkman. Isolé comme tous les autres, il est, enfermé en lui-même ; ils n’entre en relation avec personne, même avec nous qui ne pouvons pas facilement croiser son regard.
Parce que tous les regards ne sont tournés vers rien ; ou vaguement intériorisés, sur la vanité du « rêve américain » comme le suggère le titre de l’expo. On pourrait mettre en bande son la chanson des Misérables qui a fait le succès de Susan Boyle : I dreamed a dream…J’avais rêvé d’une autre vie mais la vie a tué mes rêves…
On reproche souvent à l’art contemporain d’être inaccessible, mais ici c’est le contraire. Quelle proximité ! Quelle facilité d’accès ! Trop ! Proximité physique, proximité culturelle (immédiatement recevable), proximité « humaine » (tellement l’illusion est grande) suscitent d’autres réflexions. S’agit-il seulement d’un effet miroir ? D’un symptôme des errances de la société américaine qui sont aussi les nôtres ? Ces dernières œuvres de Duane Hanson ne se contentent plus d’illustrer un message social ou politique univoque comme lorsqu’il dénonçait la guerre du Viêt-Nam à ses débuts. On ne pourrait guère parler d’art…
Alors, où réside la poésie ?
« Queenie » 1988 : son nom est brodé sur son vêtement de travail. A travers ses lunettes, ses yeux regardent dans le vide. Elle seule porte un nom. On saisit soudain que le soin apporté aux œuvres est un soin apporté aux personnes, comme une preuve de tendresse. Il les aime ses personnages anonymes, ces petites gens tirés de la banalité du quotidien
Et puis il y a « Le vendeur de voiture »1992 : classe moyenne, détenteur d’un maigre prestige, banalité des vêtements : attente, crispation : prédateur minable qui donne le change pour attirer le client. Ce n’est plus une empreinte, c’est une composition. Les dernières œuvres ne sont plus des personnes mais des personnages, des types constitués de différents moulages, comme Rodin recomposait des bras et des jambes conservés en réserve. Dès lors, la proximité s’accompagne en réalité d’un léger effroi, celui que procure le double. Une gêne inavouable devant la monstrueuse victime, consentante, d’un système indiscutable ; et qui me ressemblait comme un frère…
Effroi et amour, mon regard vers le Fils de l’Homme crucifié en connaît les promesses.