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3 mars 2010 3 03 /03 /mars /2010 10:56

Copie-de-Noli-me-tangere.jpg
« Chefs-d’œuvre ? » tel sera le titre de l’exposition inaugurale du Centre Pompidou-Metz en mai 2010. Prudent point d’interrogation. Il répond déjà partiellement à la question lorsqu’elle s’adresse à l’art contemporain : le temps, la durée font partie de la réponse. On ne saurait conjuguer le chef d’œuvre au présent… Justement, ne fallait-il pas laisser cette expression désuète à l’art patrimonial ?

L’artisanat fonde historiquement le chef d’œuvre ; le résultat final des études dans telle ou telle corporation, et attribué par les maîtres. On admire encore les chefs-d’œuvres des charpentiers, tailleurs de pierre, chocolatiers, dans tel musée ou telle vitrine. Eloge d’un savoir faire aux règles reconnues.

En art, l’emprise du marché tend à donner la maîtrise au public consommateur et nommera chef-d’œuvre ce qui lui plaît, se vend et fait vendre les produits dérivés. Au mieux, c’est la célébrité qui fait le chef-d’œuvre. Dans un dossier du numéro 308 de Beaux-Arts Magazine sur cette question, le philosophe Boris Groys consacre une telle définition (p.63). On ne la repoussera pas d’un revers d’argument. La critique et les institutions participent de cette célébrité et, dans le meilleur des cas, contribuent à former et à orienter les regards.

Cependant, beaucoup d’œuvres célèbres, le sont devenus sur des critères étrangers à l’art : le scandale qu’elles suscitent, leur prix, leur opportunité d’un moment… Seule mon expérience esthétique personnelle – et non les reproductions photographiques - discernera un éventuel chef-d’œuvre. Comment ?

Sous la plume d’Emmanuelle Lequeux, le même dossier esquisse quelques repères recommandables : « Œuvres ouvertes, dont le cœur en même temps demeure clos sur lui-même, ce qui leur permettra de traverser les siècles tout en restant préservées. Je te touche, mais Noli me tangere, ne me touche pas: je suis trop loin de ta réalité. »

Le chef d’œuvre me touche et me tient en respect ; il plaît et inquiète à la fois. Cette comparaison de la relation au chef d’œuvre avec celle de Marie de Magdala au Christ ressuscité - si souvent interprété par les peintres – sonne juste. Une analogie de relations, rien de plus. Mais rien de moins. Pour tout chrétien, cette analogie éclaire l’importance mystique que l’Eglise, et chacun de ses membres, accordent à l’art. L’art authentique, contemporain ou demeuré vivant dans les chefs-d’œuvre du passé.

Emmanuelle Lequeux poursuit ces « paroles de chefs-d’œuvre » qui appellent à une observation attentive, une expérience effective, un véritable corps à corps, en vrai, contrairement aux plus célèbres « conçues avant tout pour les médias, destinées à faire image plutôt qu'à imposer une présence. Peu importe qu'on voie le miroitant Rabbit (Jeff Koons) dans un magazine ou en vrai : sa seule mission est de faire surface, de livrer une vérité lisse. Le chef-d'œuvre doit au contraire s'appréhender de tout son corps : c'est à une peau, une silhouette, une pupille vibrante, qu'il s'impose comme évidence, dans un dialogue immédiat, en attendant que ne se cristallisent d'autres vérités, plus universelles.» (p.67)

Nous garderons la notion de chef-d’œuvre parce que nous demeurons vigilants et exigeants dans cette relation essentielle qu’est l’art.

Michel Brière

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27 février 2010 6 27 /02 /février /2010 13:12

Un cloître à rayuresP1020228.JPGPaul : Dis donc, ça faisait longtemps qu’on ne s’était pas croisés. Quoi de neuf ?

Mick : Du vieux ! Je veux dire que l’œuvre de Buren au Palais-Royal (1986) a enfin été rénovée, et de nouveau ouverte au public.

- Ah ouais, les colonnes de Buren !

- Si tu faisais attention, tu aurais remarqué une plaque de bronze au seuil de la cour d’honneur quand tu entres par la place Colette. Et on peut y lire son titre : « Les Deux Plateaux ».

- A part pour y faire du roller ou du vélo je ne vois pas l’intérêt de s’attarder sur ce gouffre à fric. 5,8 millions d’euros, rien que pour la restauration !.

- Eh bien ça rend encore plus nécessaire de regarder attentivement. L'œuvre occupe les 3000 m² d’un ancien parking privé. Le sol rehaussé, couvert d’asphalte, a reçu un maillage de lignes larges de 8,7 cm. Indexées sur les colonnes de la galerie d’Orléans, elles sont noires et leurs perpendiculaires, à damier noir et blanc. Au centre de chacun des carrés il y a deux cent soixante cylindres blancs rayés de marbre noir.

- C’est bien des colonnes.

- En réalité, ce sont des polygones de 20 côtés. De trois sortes : gravés dans le sol (9 de chaque côté), érigés et traversant une grille.

- Mais où situer les deux plateaux annoncés ?

- Ils sont virtuels. Les célèbres rayures ont pour fonction de désigner à notre imagination une possible unité de sens entre les divers « plans » qui constituent ce lieu. Juste au centre je remarque le plus petit cylindre à ses rayures carrées. Non seulement aligné sur une colonne de la galerie d’Orléans, il parait de niveau avec son « dé », sa base. Je remarque alors que sur tous ces cylindres érigés je peux imaginer un plateau rigoureusement horizontal.

- Et alors ? A quoi ça sert ?

- Ce plateau abstraitement horizontal sert de repère à l’architecture. Depuis qu’on construit on cherche la verticale et l’horizontale, le niveau d’eau et le fil à plomb.

Mais, bon, si les cylindres gravés désignent le sol, bombé pour permettre l’évacuation des eaux de pluie, si les érigés désignent l’horizontale, alors les cylindres traversant doivent « soutenir » le second plateau du titre, je suppose ?

- A l’intersection de deux des trois grilles se trouve un espace vide et parfaitement cubique protégé par un garde-fou. Le cylindre axial lui correspond parfaitement. Particulièrement la nuit, lorsque le sous-sol éclairé attire mon attention sur les clapotis de l’eau qui s’écoule, je me rends compte, par transparence que ces cylindres possèdent tous la même hauteur.
- Avant c'était éclairé en bleu...
- La pente de leur succession, parallèle au sous-sol, en indique l’inclinaison. Ce deuxième plateau que j’imagine posé sur leur sommet relie au profond de la terre et l’espace et le temps présents.

- Mais parler de « colonnes » suppose le soutien d’un édifice. Or ces cylindres ne supportent que le vide au-dessus d’eux ?

- Oui, jusqu’au ciel. Le sol sur lequel aiment à rouler les enfants devient à mes yeux celui d’un cloître où coule une fontaine. Le rythme régulier des bandes verticales, entre profondeurs archéologiques et au-delà céleste, compose avec moi, avec ma méditation et les colonnades du passé un colloque silencieux sur l’effort des hommes pour construire un monde harmonieux. Ouvert à la grâce.

 

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11 janvier 2010 1 11 /01 /janvier /2010 08:38

FAIRE L'EXPERIENCE DE DIEU

Extrait de notre réflexion de ce dimanche 10 janvier :
"Le croyant, en notre temps, sera

ou bien un mystique au sens où il a expérimenté quelque chose dans sa relation à Dieu
ou bien il cessera d'
être croyant.

Pour le croyant, il est donc essentiel d'apprendre à parler de son expérience religieuse comprise comme une rencontre de communion avec Dieu."

Karl Rahner, Théologien

Et pour l'artiste il est essentiel de la laisser se manifester dans son travail. Le hasard reçu, accueilli, comme une grâce.

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4 janvier 2010 1 04 /01 /janvier /2010 10:51
Voeux-2010.jpg
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16 décembre 2009 3 16 /12 /décembre /2009 10:02

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14 décembre 2009 1 14 /12 /décembre /2009 19:31

L'Angle Mort
de Charlotte Dawance
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1 décembre 2009 2 01 /12 /décembre /2009 10:42

Comme un enfant qui découvre le monde
Lijiang River, study 4, Guilin, China,  2006, BnF, dép. Estampes et photographie. © Michael Kenna 

Paul : Que de photos ! Que de photos ! Je veux bien que ça soit un art mais…

Mick : Mais quoi ? C’est un art dont la technique est à la portée du premier venu. Toute la technique, y compris la démultiplication infinie, le recadrage et les corrections de toutes sortes…

- Mais la créativité, elle, elle est pas dans la boîte !

- Eh bien du coup on mesure mieux la distance qui sépare nos clichés de vacances de la Photographie !. Tiens, prend la Rétrospective Michael Kenna à la BNF

- Rue de Richelieu ?

- Oui. C’est une exposition qui demande du temps. Pas question de l’effleurer d’un regard distrait.

- D’accord, mais 210 photographies d’un coup : tu ne trouves pas que c’est trop ?!

- C’est vrai que chacune requiert de l’attention. Mais la totalité constitue une œuvre.

- Et ce sont des petits formats… c’est marrant pour des paysages.

- Eh oui, chacune supporterait l’agrandissement à la taille de tout un mur. Au contraire, leur petit format suggère un entretien intime. Et puis elles sont carrées : un refus radical du panorama hollywoodien, où se déroulent les belles aventures de

-  … l’extermination des indiens. Ajoute à ça le noir et blanc !

- Et la sobriété, le dépouillement, l’épure des lignes et des compositions, le raffinement des tirages en camaïeux subtils et ça donne une sorte de poésie distanciée qui fait l’unité.

- C’est clair, on reconnaît la patte du maître.

- De plus, les répétitions, le cadrage, la stylisation extraient l’esprit des formes : le génie d’un lieu. En substituant le graphique au figuratif Michaël Kenna décèle pour nous la part d’éternité dans la fragilité de l’instant qu’il a cueilli.

- On pourrait dire qu’il façonne ses images comme les paysans font le paysage.

- Et en plus, il nous aide à en deviner quelque vibration secrète. Comme une méditation sur les traces du créateur dans sa création. Les chrétiens auront vite fait de penser ces derniers mots avec une majuscule.

- Trop vite ! Parce que il n’y a pas une seule figure humaine !

- Mais, Paul, qu’est-ce que c’est un paysage ? Un fragment de nature cultivée, une construction culturelle. Tu le disais tout à l’heure, l’homme y a toujours inscrit les traces de son activité. Les paysages désertés de Kenna ne sont pas des déserts.

- Moi, ce que j’ai retenu, c’est que ces terres, ces villes, ces lacs et ces horizons dialoguent avec le ciel et les météores. Nuages et nuées, fumées, brumes et brouillards arrondissent et dissolvent l’épure, ça adoucit.

- Si tu veux, mais ça contraint surtout à l’équivoque. La description s’efface devant la rêverie et invite à la méditation. A passer de l’énigme vers le Mystère.

Parcourant la terre, Michael Kenna (né en 1953 à Widnes, Lancashire) a bâti, depuis plus de trente ans, un corpus consacré à la représentation du paysage en noir et blanc. Les rivages, l'océan, les îles, lui inspirent des « Marines » où le pittoresque s'efface devant la puissance. La poésie de ses paysages du Japon tend au haïku[1], Ses derniers travaux consacrés à la Chine et à l'Egypte sont présentés pour la première fois.

 

 

 Rétrospective Michael Kenna, jusqu’au 24 janvier 2010

Bibliothèque Nationale de France site Richelieu 58 rue Richelieu, du mardi au samedi de 10h à 19h, le dimanche de 12h à 19h, fermé le lundi (nocturne le jeudi jusqu' à 22h) tarif plein : 7.00 euros    tarif réduit : 5.00 euros


[1] Poème d’origine japonaise, en trois vers et dix-sept syllabes (5-7-5) rendu célèbre au XVIIe s ; par Bashô (1644-1694)

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25 novembre 2009 3 25 /11 /novembre /2009 09:12


L'aumônerie des Beaux-Arts fête les diplômes de Charlotte et Aurore
Aurore et Charlotte
et s'élargit avec joie !

Laure, Anne-Charlotte et Léonore


Avec le sourire de Nicodème, artiste en herbe : à bientôt !
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17 novembre 2009 2 17 /11 /novembre /2009 09:40

Réponse à Jean Collet

Ma main tremble un peu à l’idée de répondre au savant qu’est Jean Collet. Qui a su me faire découvrir des chefs d'oeuvres à côté desquels je serais passé (Prova d'orchestra de Fellini) Avec qui je me suis réjoui d'un magnifique premier film  (Petits arrangements avec les morts de Pascale Ferran). Un maître en cinéma dont les critiques m’ont souvent éclairé. Mais là, non.

Il commet d’étonnantes erreurs d’observation. A-t-il vu le film en entier ?

Il invente lui-même les torts de celui qu’il veut éliminer.

 

La réalité du film.

Selon Jean Collet, Haneke « dénonce des êtres qu’on n’aurait pas la moindre envie de fréquenter à la sortie de la salle », son film pourrait s’intituler « tous pourris » ! Eh bien, moi, j’aimerais bien fréquenter l’instituteur pas très brillant mais attaché à un calme discernement qui lui permet de tenir tête aux donneurs de leçons ; ainsi qu’Eva, si rayonnante de sincérité. Ils constituent un couple porteur d’espérance, Et puis le père d’Eva qui pose une loi équilibrée et saine me parait très fréquentable. Il y a aussi plusieurs femmes qui, de manière moins emblématique, plus réaliste, assument leur rôle du mieux qu’elles peuvent dans la culture de leur époque : la baronne, Mme Wagner et même la femme du pasteur qui apporte discrètement un peu de douceur au rigorisme imposé par son mari. Quant aux deux petits derniers du médecin et du pasteur ils sont là pour rappeler justement la bonté spontanée des enfants. Une petite dizaine de personnages qu’on ne peut guère traiter de « pourris » !
Jean Collet dénonce la « prétention à tout expliquer » et « l’importance du message qu’il veut nous transmettre. » Or, l’expression la plus fréquemment entendu, celle-là même de la voix off qui ouvre le film est « je ne sais pas ». Ce film n’illustre pas de message et n’explique pas. Il ne manipule pas le spectateur. En revanche il nous implique. Ce que Jean Collet dénonce comme « l’effet » c’est la prise en compte de la réception dans l’œuvre comme en faisant partie. Haneke évite la séduction : absence de musique d’accompagnement et permanence de la voix off instaurent une distance où le spectateur peut exercer librement son jugement. Il refuse la fascination en occultant la pire violence.

Nos réceptions différentes montrent que s’il y avait « un message » (à la manière des tracts filmés de Michael Moore), il serait pour le moins peu clair.

« Tout est beau sur l’écran » écrit Jean Collet : ce serait un « moyen de faire passer ce message » ? Il faudrait donc ne pas regarder l’écran ?! Alors, comment y trouver du sens ?! La construction et la qualité plastique des images concourent ici à lisser les apparences, comme toute bonne esthétique bourgeoise, bien propre. Cette beauté froide contribue à mettre en place une esthétique paradoxale et riche : à la fois de distanciation et d’un charme discret.

Non, pas de fascination pour le mal dans ce film, seulement la quête un peu vaine de ce qu’on sait inexplicable : le mystère du mal ; et le désir de le vaincre, modestement, avec réflexion et amour comme l’indique le pivot du film qu’est l’instituteur.

Observer attentivement un film, avec un maximum d’objectivité, avant tout jugement critique, me parait la première règle d’une approche chrétienne respectueuse du 7ème art. Ce qui préserve des jugements d’autorité et permet d’éduquer le regard.

 

Cela dit, il n’est pas non plus question de crier au chef d’œuvre ! Il y a dans cette esthétique quelque chose d’appliqué, de trop « précautionneux » que quelques moments de grâce viennent souligner par contraste : la sortie en charrette et les timides gestes amoureux qu’échangent Eva et l’instituteur ; les ambiances de fête et les paysages ouverts sur le ciel. Mais l’ensemble manque de souffle ! Donc d’esprit.

 

Qui veut noyer son chien l’accuse de la rage,

Ce qui gêne, c’est que Jean Collet invente la thèse qu’il veut combattre à partir d’autres films que « Le ruban blanc ». Jean Collet veut voir « un plaidoyer contre le retour à un passé éducatif suranné » ce qui lui permet de fustiger le laxisme « post-soixante-huitard », la démission ou l’absence des parents, etc. A cet égard, Le Ruban blanc est un film anachronique » écrit-il. Que le film de Haneke souligne les dérives du rigorisme et du puritanisme protestants est indéniable. Mais ça ne me parait pas déplacé aujourd’hui. Nos Eglises peuvent encore céder aux charmes du confort doctrinal, des restaurations réactionnaires et des intégrismes moralisateurs.

 

La théorie des grands auteurs intouchables

Mais je voudrais élargir un instant ma réponse aux repères qui permettent à Jean Collet d’être aussi virulent. Sur quels indices appuie-t-il sa critique ? Sur sa culture, immense. Sur l’histoire du cinéma et un Panthéon de proclamés « grands maîtres ». Sa critique croule sous les références.

Certes, il faut aider les spectateurs à comprendre que le cinéma n’est pas né à Hollywood à la fin du siècle dernier. Mais la théorie des grands auteurs intouchables risque d’aveugler et de repousser un minimum d’exigences précises à l’égard des films récents. Si pour apprécier un film il faut vénérer tout Ford, tout Dreyer, tout Hitchcock et tout Bergman (en évitant le cinéma asiatique ?), je renonce. D’autant qu’aucun réalisateur ne crée que des chefs d’œuvre ; et que quelques merveilles viennent parfois éclairer de très moyennes filmographies. Du même auteur, j’avais détesté « La pianiste » mais j’apprécie « 71 fragments d’une chronologie du hasard » et « Caché ».

Pourquoi enfermer Haneke dans des références qui probablement ne sont pas les siennes ? Il a su éviter le piège de la citation. Après tout, qu’il évoque à quelques cinéphiles certaines ambiances d’un chef d’œuvre comme Ordet ne me déplait pas. Si elle l’enrichit, la référence n’est pas nécessaire à la réception du film.

La théorie des grands auteurs a eu un rôle important, tant en cinéma que dans les arts plastiques (Père Couturier). Il me semble qu’érigée en dogme, elle laisse désormais apparaître ses limites. Elle tend trop à valoriser de l’extérieur chaque production du « maître » et réserve la compréhension des films à une élite très cultivée, Surtout elle passe à côté d’un jeune cinéma d’Amérique latine et d’Asie, et de la recherche sur les images en mouvement (vidéo, cinéma expérimental, documentaire…) à la rencontre de l’art contemporain, en pleine effervescence.

 

Décidément il me plaît bien cet instituteur/narrateur du « Ruban blanc », qui prend le temps d’un véritable discernement à partir de ce qu’il voit, sans dogme, avec simplicité et un brin de naïveté. Avec la tendresse et l’humilité qui qualifient, selon Jean Collet, « la justesse du regard ». Et là, il a raison.

Michel Brière

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16 novembre 2009 1 16 /11 /novembre /2009 19:38
Le Service Chrétien du Cinéma, diffuse cette critique de Jean Collet

"Le Ruban blanc" : Ciné-Canada-Dry

Palme d’or à Cannes, critique enthousiaste et quasi unanime. Comment ne pas admirer le dernier film de Haneke ? Tout y est réuni pour constituer un chef d’œuvre : les images d’abord, le retour à la photo en noir et blanc qui rappelle aussitôt les grands films classiques, la douceur d’un album de famille, le passé transfiguré, sublimé. La mise en scène ensuite, ses longs plans fixes, parfaitement cadrés, mais aussi bien la caméra mobile dont on ne sent jamais la présence parce qu’elle est discrète et nécessaire. Elle est là pour faire voir, et non pour se faire remarquer… Présence impressionnante et majestueuse des acteurs, quel que soit leur âge. Comment ne pas penser à Dreyer, à la peinture flamande ?

Et puis enfin un grand sujet : la violence. On sait que Haneke lui a consacré jusqu’ici toute son œuvre, on se souvient de Funny Game, La Pianiste, Caché … Mais – ô surprise – avec ce Ruban blanc, et à l’image de son titre, Haneke renonce à la violence visible. C’est même l’introuvable violence qui motive le suspense de son film. Violence sournoise que le spectateur attend, recherche parce qu’il n’en voit que les effets (on pense à Bresson). Comment ne pas admirer l’habileté d’un tel parti-pris, comment ne pas reconnaitre une stupéfiante conversion dans la carrière du cinéaste ?

Et pourtant je n’arrive pas à entrer dans ce film, même si le malaise qu’il procure n’a rien de commun avec l’horreur insoutenable que Funny Game nous forçait à éprouver, à moins de quitter la salle (ce que je n’avais pas pu m’empêcher de faire dix minutes avant la fin du film). « Habileté », j’ai dit ce mot tout à l’heure et je n’en trouve pas d’autre pour expliquer ce que je ressens. Mais pourquoi cette impression, d’où vient elle ? Bien sûr, tout est beau sur l’écran, bien sûr Haneke traite un grand sujet et je ne doute pas de sa sincérité, il est surement convaincu de l’importance du message qu’il veut nous transmettre. Convaincu aussi d’avoir trouvé les meilleurs moyens de faire passer ce message, il a voulu construire un film efficace, et il a sûrement réussi. Au moins jusqu’ici auprès du jury de Cannes et de la critique.
Quel est donc ce message qui fait l’unanimité ? Le Ruban blanc, en effet, ne dérangera personne, et cela même devrait jeter quelque trouble, paraître un peu suspect. Quelle est donc cette origine du Mal que Haneke aurait le mérite d’avoir découverte, et le courage ( ?) de dénoncer. Si j’ai bien compris, Le Ruban blanc – image de l’innocence, de la pureté des enfants – ce n’est pas tout à fait l’enfance que l’Evangile nous invite à retrouver ; bien au contraire, c’est l’enfance pervertie par la violence des contraintes, des sévices que la rigueur et l’hypocrisie des adultes lui fait subir. C’est le puritanisme d’une « éducation » qui a certainement existé il y a cent ans ; et en particulier sans doute dans ces villages fermés où des hobereaux privilégiés et arrogants semblaient ignorer l’existence de la démocratie. Comme d’ailleurs ils feignaient de n’avoir jamais entendu la voix d’un certain Jésus de Nazareth – et la colère de Jésus – quand il s’adressait aux pharisiens. A ceux précisément qui méritent de se voir « engloutis en pleine mer avec une meule autour du cou » pour avoir scandalisé un enfant. (Matthieu , 18, 5-12). Haneke se prendrait-il pour un nouveau Bernanos en cherchant du côté des « enfants humiliés » d’hier, l’explication des violences d’aujourd’hui ?

Rien de commun pourtant, entre l’auteur du Journal d’un curé de campagne et celui de Funny Games ! … Tout les sépare ; ne serait-ce que l’humilité de Bernanos à travers son œuvre, et la prétention permanente de Haneke. Prétention à tout expliquer (ce qui n’a jamais été un trait des grands artistes), mais surtout prétention à dominer, à violenter, à maîtriser – au pire sens du terme – le spectateur. Car il y a une constante dans le cinéma de Haneke, malgré ce qui sépare son dernier film des précédents – et quoiqu’il s’en défende – c’est la fascination du mal que ce cinéaste tient absolument à nous faire partager. Soi-disant pour notre bien. Mais, que le remède soit d’un goût à vomir (Funny Games, La Pianiste), ou excessivement raffiné (Le Ruban blanc), le cinéaste se veut guérisseur à tout prix ; et je me méfie des bonnes intentions dont l’enfer est pavé.
A la réflexion, j’ai bien du mal à prendre au sérieux la pharmacopée de ce clown, trop blanc et si ténébreux, qui éprouve le besoin régulier de se déguiser en docteur Freud. Si la thèse – tellement simplette – du Ruban blanc peut à la rigueur coller plus ou moins bien avec la montée du nazisme, elle n’a aucun intérêt pour nous aujourd’hui. D’abord parce que Fritz Lang a fait la lumière là-dessus – et quelle lumière et quel esprit – quand il fallait le faire, et quand il fallait du courage pour le faire. Et puis, Lang ne s’est jamais pris pour un prophète, tout simplement parce qu’il l’était.
Ensuite, parce que la violence présente, omniprésente désormais dans le monde ne saurait s’expliquer par les méfaits d’une éducation trop rigoriste sur les générations montantes (c’est plutôt le contraire qui saute aux yeux : le laxisme « post-soixante-huitard », la démission ou l’absence des parents, etc …). A cet égard, Le Ruban blanc est un film anachronique ; c’est sans doute ce qui fait son charme et justifie son succès.
Oublions donc la thèse et le donneur de leçons. Reste la beauté du film, n’est ce pas ? Oui, mais quelle beauté ? Peut-on féliciter Haneke de l’application laborieuse avec laquelle il fait du sous-Bergman, du sous-Dreyer ? Car il ne s’agit pas de créer en copiant, il copie pour avoir l’air de créer. Cela s’appelle l’académisme, cet ersatz de l’art, ce Canada-Dry du cinéma, ce piège tendu au critique, au spectateur … et aux jurés des festivals (qui s’en tirent parfois comme cette année en couronnant en même temps le film le plus académique, celui de Haneke, et le plus « contemporain », celui de Audiard (Un prophète), dont on peut parier sans risque : ils vieilliront aussi mal l’un que l’autre. Et pour les mêmes raisons. Car Audiard comme Haneke ne regardent pas vraiment leurs personnages, ils regardent l’effet que leurs images vont produire sur le spectateur. La voila l’habileté, qu’on ne peut pas confondre avec la justesse du regard. Celle-ci ne va jamais sans la tendresse et l’humilité.
A ce propos, un dernier point rapproche encore ces deux films : le mépris (des personnages évidemment). Chacun dans son genre se complait à « dénoncer » des êtres qu’on n’aurait pas la moindre envie de fréquenter à la sortie de la salle. L’un et l’autre pourraient s’intituler : « tous pourris » ! On sait bien en entendant ces deux mots : la seule vérité qu’ils révèlent, c’est le mépris qu’on éprouve envers soi-même. Ni la barbarie d’Un prophète, ni l’esthétisme du Ruban blanc ne pourront dissimuler longtemps cette sombre évidence. Dieu nous garde des faux prophètes !

Jean Collet, novembre 2009
 Jean Collet, né en 1932, professeur honoraire des Universités, journaliste à Télérama (1959-1971) et aux Cahiers du Cinéma (1961-1968), a enseigné le cinéma et la communication. En 1963, on lui doit le premier livre sur Jean-Luc Godard, plusieurs fois réédité et traduit en de nombreuses langues. Critique de films à la revue Études depuis 1965, il collabore au département "Fictions" de Arte, et poursuit son enseignement du cinéma au Centre Sèvres (Université des Jésuites à Paris). Il a aussi écrit sur François Truffaut, Federico Fellini, et une quinzaine d'articles dans l'Encyclopaedia Universalis (Hitchcock, Lubitsch, Bergman, Bresson, Bunuel, etc.)

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