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20 octobre 2007 6 20 /10 /octobre /2007 12:03
Décoratif, Orozco ?

Paul : Je sais pas si ça te fait ça, mais il y a des artistes dont tu retiens une œuvre. Parfois une autre, un autre jour. Et puis on se perd de vue. Les circonstances, sa créativité, nos emplois du temps… C'est le cas pour moi de Gabriel Orozco. J'avais reçu sa célèbre DS  en pleine mémoire. Bing, c'était à la 4ème biennale de Lyon. En 1997 ! Spectaculaire !

Mick : Qu'est-ce que c'était ?
- Imagine la DS Citroën coupée en trois morceaux dans le sens de la longueur, on retire le morceau du milieu et on recolle les deux côtés. Donc une voiture très étroite avec un volant au milieu ! Plus symétrique qu'avant mais inutilisable. Un truc incroyable. Un objet, impossible, impensable… et dont la fabrication a demandé un soin très particulier, des interventions d'un bon niveau technique, un machin inutile et qui laisse songeur.
 
- Tiens, mais ça pourrait s'appeler une œuvre d'art. 
- Oui, mais une "œuvre d'art" n'est pas nécessairement un chef d'œuvre : on attend d'une œuvre d'art autre chose qu'un truc inoubliable.
- D'accord. On aimerait que ça produise en nous autre chose qu'un petit sourire 
- Cela dit, j'ai retenu le nom de Gabriel Orozco. Il est né au Mexique en 1962 
- Et aujourd'hui ?
- Eh bien, tout a changé. Ou presque… Dix ans plus tard, le côté spectaculaire s'est évanoui. Ce qu'il montre, c'est presque rien. Très peu de choses. Des petits formats. De la peinture sur du papier. De la peinture sans pinceau. Comme une tache mais avec des symétries. Plusieurs symétries. On voit bien que la feuille de papier a été pliée. Même sur les bords, comme pour enfermer.
- C'est le test de Rorschach ?
- Oui mon coco, mais on est dans une galerie, les œuvres sont encadrées, sous verre. Du coup, ici, tu n'es ni spectateur, ni patient d'un psy.
- Je suis sûr que tu as quand même interprété.
- Evidemment, et forcément en me projetant. J'ai vu des figures, j'ai cru pouvoir nommer. J'ai cru reconnaître des corps, des replis de peau, des plis de chair, ça évoque des bras, des cuisses, des sexes masculins et féminins. Ça te rappelle que nos corps sont fait de symétries. Mais seulement quelques formes vraiment évocatrices. D'autres formes ont la simplicité originelle des dessins tantriques, emblèmes très purs de l'infini, de l'œuf primordial. Des peintures dont les reflets reçoivent onctions de parfum, d'huiles et d'eau lustrale. Des objets pour les rites, non des œuvres d'art… Ce qu'étaient nos retables, autrefois.
- Je t’écoute, je t’écoute, mais moi aussi, je l’ai vue. J'ai trouvé que c'était décoratif comme un motif de papier peint. Rien de plus. Assez décevant.
- Mais tu n'as pas vu, par endroit la peinture épaisse faire des petites vagues, à d'autres elle paraît diluée, très fine. Ce n'est pas plat comme du papier peint. En fait, on a comme l'enregistrement de la performance, ce qu'est toute œuvre d'art, même si elle cherche à effacer toutes traces… Et puis Orozco décrit le processus, le rite de fabrication : au commencement, une goutte de peinture sur une feuille de papier et « Lorsque la feuille est pliée comme une enveloppe, il s’agit d’un objet, mais lorsqu’elle est dépliée, elle devient une image. Il y a comme un mouvement circulaire entre un objet et une image cachée dans les plis de la matière.»
- Ah ce qui se cache dans les plis..! Je préfère Simon Hantaï pour le montrer; et pour en parler : Gilles Deleuze ( Le pli, collection Critique, Editions de minuit, 1988) Nous même vivons dans ce repli de l'espace qui met face à nous le monde dont nous vivons, comme nous appartenons à la voie lactée que nous voyons au ciel. Les plis de la matière manifestent en image les replis de l'âme, de la conscience…

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